En ces temps glorieux, il ne suffisait pas au dictateur dément
de châtier
les coupables. Les persécutions s’abattaient sur tous ses proches.
Sa femme.
Ses parents. Ses cousins… Y compris ses amis.
On avait même vu des villages entiers rayés de la carte,
rasés au
bulldozer, puits comblés et cimetières profanés, pour expier la
supposée
faute d’un seul de leurs habitants.
Au sortir d’une enfance terrible, l’orphelin Dino Andoni
s’était vu
infliger huit ans de camp de travail.
Il avait alors dix-huit ans. Il s’était énervé dans la file
d’attente, devant le
centre de distribution du pain. On attendait depuis six
heures. Il faisait froid.
Les policiers l’avaient immédiatement embarqué.
Le tribunal avait décrété, au Nom du Peuple, que la conduite
de Dino
Andoni était indigne d’un bon serviteur du communisme.
Et avait envoyé le jeune homme, au Nom du Peuple, casser des
cailloux
pendant près d’une décennie.
Les deux hommes qui se tenaient à côté de Dino Andoni
venaient du
même village que lui.
Vaizë. Un petit nid d’aigle gorgé de soleil, sur les pentes
escarpées et
couvertes d’oliviers des hauteurs du Sud. Un village de
Méditerranée, hors
du temps, auquel ne menaient que des chemins de terre. Et
les vagues
sentiers que traçaient les chèvres sur la caillasse.
Le premier était le plus âgé du trio. Âgé d’une trentaine
d’années, c’était
un taureau sombre et crasseux. Sa barbe de plusieurs jours et
sa tignasse
emmêlée ne parvenaient pas à masquer sa beauté. Son regard noir ne
cessait
d’observer la foule.
Sans raison apparente, il souriait.
Celui-là s’appelait Skender Rama.
Lorsqu’il était adolescent, il avait fait du football. Un
jour d’été, de
retour d’un match victorieux, il avait volé avec d’autres
membres de son
équipe plusieurs pastèques dans un jardin, au bord de la route.
Tous les
membres de l’équipe avaient été condamnés.
Les condamnations avaient été sévères. De quelques mois à
trois ans. Au
Nom du Peuple, Skender avait pris le maximum. Ses rébellions
avaient
transformé ces trois années en douze ans.